Maydan (Page 4)

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L'assaut

Nous avons toujours su qu'il y aurait un assaut final. Le président et sa bande ne pouvaient pas simplement s'en aller comme ça, pour eux cela signifierait aller en prison et il était évident qu'ils n'y iraient pas sans essayer de rester au pouvoir par tous les moyens possibles.

Les gens attendent l'assaut final. Les pierres sont soigneusement choisies.

Le sujet de discussion favori des gens de Maydan concernait la résistance des barricades. Ils parlaient tout le temps du genre des tanks ou des véhicules militaires qui passerait au travers de cette barricade. Je pensais que pour celles qui étaient inutiles, ces paroles étaient vaines mais je vois maintenant que ce sont vraiment les barricades qui ont sauvé Maydan et nous ont sauvés.

Voici une petite fabrique de cocktails Molotov.

Nous savions que l'attaque était programmée car il n'y avait plus de lumières dans les rues et le souterrain des trains, notre métro, avait été fermé. L'assaut a commencé à 20 heures le 18 janvier et a duré toute la nuit.

Les deux premiers véhicules ne purent franchir la barricade, ils se sont retrouvés coincés et ont été incendiés par les manifestants. L'effet de surprise n'existait plus. Ensuite la police s'est avancée mais ils ont reculé après avoir perdu quelques hommes.

Il y a peu de photos de cette nuit. Photographier était un luxe que nous ne pouvions nous permettre, nous avions à faire passer les pierres et les pneus. Chacun avait quelque chose à faire.

Il y avait environ 20.000 manifestants sur Maydan cette nuit.

Le soir, nous avons déjà perdu deux immeubles où quelques milliers deux manifestants ont vécu pendant des semaines. Celui-ci était notre dernier immeuble, c'était le quartier général depuis les premiers du soulèvement, avec une cuisine, un hôpital, des couloirs et des chambres où les gens dormaient. Avant le soulèvement, c'était le bâtiment des syndicats. Il a été pris d'assaut par les forces spéciales de la police dans la nuit, quelques centaines de policiers ont pénétré par le toit. Ils ont ouvert le feu sur quiconque était présent à l'intérieur et incendièrent l'immeuble. Nous ne pouvons qu'estimer les morts au nombre de personnes portées disparues. Plus de 350 manifestants disparus ce jour, la plupart d'entre eux ont été réduits en cendres dans cet immeuble.

Au moment où cela est arrivé, personne ne savait qui était à l'intérieur du bâtiment des syndicats, mais nous avions remarqué la présence de la police sur le toit et c'était un mauvais signe. Les gens n'ont pas fait attention à eux parce qu'une autre attaque avait fait des blessés. Puis l'incendie a jailli par les fenêtres… les occupants sautaient en bas, descendaient par des cordes…

Je me souviens de manifestants qui avaient capturé un policier qui venait de perdre un œil et une main, ils voulaient l'envoyer à l'hôpital, mais il était déjà en flammes…

Cette nuit a été l'enfer sur terre. La police est arrivée jusqu'à 30 mètres de la position. Ces meneurs qui tenaient la position cette nuit-là ont gagné le respect du peuple, nous savions qu'ils étaient sérieux.

Le type avec le micro est un homme politique, de l'opposition. Je ne l'ai jamais beaucoup apprécié, mais ce soir-là il était avec nous et si un sniper devait tuer quelqu'un cette nuit, il aurait été le premier. En fait, il a été touché, mais heureusement sans gravité. Il est maintenant notre président. Un politicien qui ne s'est pas enfui cette nuit-là, comme la plupart des politiciens, est un patriote et il aura mon vote.

Le jour suivant a été calme, les deux bords ont léché leurs plaies. Les églises sont devenues des hôpitaux. Une autre utilité des églises était de sonner les cloches quand la police attaquait.

A ce moment sur Maydan, les gens amassent des pierres pour renforcer les barricades.

Un prêtre orthodoxe ukrainien aide les manifestants.

Le lendemain, 20 janvier était ce que nous appelons maintenant le "Jeudi Noir". Les manifestants ont attaqué dans la matinée et ont fait reculer la police, quelques policiers se sont rendus mais les tireurs d'élite ont commencé à tirer sur les manifestants depuis différentes positions. Personne n'était plus en sécurité, toute la zone de Maydan était la cible.

Environ cent personnes furent tuées et un millier blessées.

Ce manifestant est l'un de ces cent tués.

Lorsque que les "snipers" tuent, c'est comme à la chasse pour eux, le plus habile frappera l'artère carotide. La moitié des tués ont été atteints au cou. Cette jeune fille a eu de la chance, la balle l'a touchée au cou mais sans atteindre la carotide. Ce qui est incroyable, c'est que c'est une infirmière et elle était occupée à soigner un blessé quand le "sniper" l'a touchée et elle ne s'en est même pas aperçue. Elle ne s'en est rendu compte que lorsque quelqu'un lui a dit qu'elle avait été touchée au cou.

Sur cette photo on voit des manifestants armés seulement de bâtons et de boucliers. Ce ne sont pas des boucliers pare-balles. Ils seraient en papier, ce serait la même chose.

Alors que cette jeune fille pleurait, les gens du président avaient déjà bouclé leurs valises.

Le plus grand mystère que personne n'arrive encore à comprendre, c'est pourquoi le président et ses gens ont quitté Kiev si précipitamment. Au beau milieu du bain de sang, ils ont commencé à évacuer et ont quitté Kiev dans des ambulances, des voitures de transport de fonds où personne ne viendrait les chercher. Ces bandits vagabonds savent comment disparaître. Ils se sont dirigés vers l'aéroport où des avions les attendaient… pour Moscou. Vers leurs maîtres du Kremlin… OK, les gars, bon vol. A la prochaine… à la Haye, à Nuremberg...

 Voici les photos de quelques personnes qui trouvèrent la mort sur Maydan (les policiers sont au bas de la photo). La propagande russe dit que ce sont tous des extrémistes. La vérité c'est que sont les meilleurs gens de tous les temps dans leur pays. Nous avons résisté avec eux contre la tyrannie, jour et nuit, durant 3 mois. Je suis fière de m'être tenue épaule contre épaule avec eux contre la malveillance de ce monde. Ce fut le meilleur moment et c'était la meilleure équipe, à jamais.

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